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© Thomas Heydon

7 Questions à Clémentine Chambon, artiste et designer

Éditée par la maison italienne Exto, la Console Cosmo Sunrise de l’artiste et designer nîmoise Clémentine Chambon vient d’entrer au Mobilier National. Entretien.

Clémentine Chambon est une artiste et designer dont l’univers coloré et joyeux prend vie dans les motifs et les formes des objets qu’elle crée. Formée à l’École Boulle et à l’ENSCI, passée par l’agence de Marc Newson, associée dans le studio de création parisien Design Percept, la designer vie et travaille aujourd’hui à Nîmes et multiplie les collaborations et les projets personnels. Dior, Alstom, Habitat, Maison BONAMI… Son approche expérimentale, entre design, art et artisanat, son humour et sa capacité à varier les médiums séduisent les marques et les institutions. Elle est l’une des lauréates du programme Mondes Nouveaux du ministère de la Culture avec « Shelter« , son projet de constructions d’abris à partir de bois flotté issus de la tempête Gloria. « Shelter » a fait l’objet d’une parution aux éditions Snap Collective.

SUD VIBES : Les couleurs sont très présentes dans votre travail. C’est l’une des facettes qui le distinguent. Pouvez-vous nous parler de votre attrait et de votre rapport à la couleur ?

CLÉMENTINE CHAMBON : Mon rapport à la couleur est clairement influencé par mes origines. C’est-à-dire par la ville de Nîmes, par son patrimoine culturel lumineux. Plus largement peut-être aussi par la région.… La couleur est très présente dans le sud de la France. Elle l’est dans la manière qu’ont les gens de la porter, notamment par les femmes, mais aussi dans l’architecture, les décors des maisons… Et puis il y a aussi le peintre nîmois Claude Viallat, que j’adore depuis toujours et dont j’ai beaucoup vu le travail, car mes parents l’aimaient beaucoup. Pour moi, c’est un artiste qui a tellement compris la couleur du sud qu’on se demande si c’est lui qui l’a comprise ou si c’est le sud qui s’est fait à son image. Je trouve que dans ce rapport coloré, il est très juste. Cette couleur que j’aime travailler et qu’effectivement, on retrouve dans celles de Viallat, est à la fois très vive, très franche, très joyeuse, assez directe et sans ambiguïté, mais sans être vulgaire, je pense, car elle a toujours un côté légèrement délavé par le soleil. Un ton un peu en dessous. La matière est aussi très importante pour moi. Les mélanges que je crée avec des pigments naturels lorsque je peins, me permettent de mieux comprendre la couleur. J’aime fabriquer ma propre matière, cela vient de ma culture du design. Et je trouve que la couleur obtenue est beaucoup plus noble quand elle est mate. Elle est plus pure, plus directe, pas empoisonnée par la question du reflet et de la lumière qui sont encore autre chose…

SV : Qu’est-ce qui inspire votre travail et vous émeut en tant qu’artiste ?

CC : Beaucoup de choses. C’est très mouvant. Mais de manière générale, je suis très inspirée par la nature. Et de plus en plus parce que je vis dans un environnement naturel. Ce paysage méditerranéen a toujours été présent en moi. Lorsque je vivais à Paris, il me manquait terriblement. Je pense qu’il y a d’ailleurs, dans mon « Elliptic chair », une sorte de réinterprétation des végétaux arides du sud, totalement desséchés, comme des carcasses. Je suis aussi très inspirée par l’art, la peinture, la peinture contemporaine, et par certains peintres. Et puis j’ai une passion pour le design italien. Depuis les années 2000, je vais à Milan quasiment chaque année. Mes parents avaient l’esprit collectionneur. Dès qu’ils avaient un peu d’argent, ils achetaient une pièce de design et le design italien était très présent à la maison. J’ai grandi avec tous ces meubles de l’époque Memphis, dans les années 80-90 et ceux des grandes stars du design italien. Il y a dans leur design une forme d’exubérance dans laquelle je me retrouve énormément.

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Console Cosmo Sunrise, éditée par la maison italienne Exto, DR
SV : Qu’elle est la place réservée à l’art et celle réservée au design dans vos créations ?

CC : Ce que je fais est toujours constamment centré sur la problématique de la production, de la fabrication. Ce sont des questions centrales dans tout mon travail. Quel que soit le résultat, il y a toujours cela. On peut dire que je suis obsédée par cette question. Il y a là, je pense, une énorme part de design. Que les fabrications soient artisanales, complètement alternatives, ou pas. Mais il est vrai aussi que j’ai une approche que l’on dit poétique. Je pense que cela fait référence à ma façon de percevoir le monde. J’ai refusé de faire une croix sur le regard de l’enfance. Je pense qu’il y a quelque chose de cet ordre-là. Cette légèreté masque une énorme sensibilité aussi.

SV : Il y a quelque chose de léger et d’aérien dans vos créations. Comment l’expliquez-vous ?

CC : C’est très juste. J’ai horreur des choses lourdes. Je vais vous donner l’exemple d’une grosse armoire ancienne, très massive. Je trouve que cet objet est oppressant et j’ai horreur des choses statutaires et oppressantes. Je pense que derrière ce côté léger et aérien il y a mon propre goût. De même, je ne supporte pas les personnes qui sont écrasantes par leur pouvoir ou par leur personnalité. Je recherche cette légèreté dans les rapports comme dans les objets. Pour moi, c’est un peu la même chose.

SV : Le sujet de l’impact écologique est présent dans votre travail de designer. Cela soulève la question de la production, mais aussi celle de l’impact des objets dans le temps. Est-ce qu’un designer n’a pas envie que perdurent les objets qu’il crée ?

CC : Je pense qu’un objet qui s’inscrit dans le temps et qui le marque n’a rien à voir avec sa quantité de production. Une pièce unique peut avoir un impact hallucinant. C’est le cas par exemple du paravent d’Eileen Gray. C’est une pièce importante dans l’histoire de l’art. On la retrouve dans tous les livres de design. Elle a pourtant été produite en toute petite série. Les pièces marquantes ne sont pas forcément celles qui ont été produites à 500 000 exemplaires. Bien entendu en tant que designer, on a envie que nos objets perdurent, mais je ne suis pas sûre que cela soit un moteur. Les choses peuvent être éphémères. Le projet « Shelter » par exemple était éphémère, mais il va perdurer par l’image, par ce que l’on va en raconter. Les choses s’inscrivent dans le temps parce qu’elles ont marqué. Par exemple, dans mon travail et à mon échelle, l’ »Elliptic Chair » a été marquante (*). Or, c’était une Limited edition, une production artisanale. La force et la puissance de l’objet sont diffusées aujourd’hui par toute la problématique des images. Je pense qu’il est important, en tant qu’artiste, de dissocier la quantité que l’on produit de son impact. Sinon on pourrait être parfois très déprimé. Dans le cas de l’ »Elliptic chair », ça n’est pas parce qu’il n’y en a que deux qu’elle n’a pas d’impact.

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Elliptic Limited Edition
Elliptic Limited Edition, Bonacina 1889 x Doppia Firma, © Laila Pozzo
SV : Avez-vous d’autres projets d’édition ?

CC : La collection de papier peint Villa, éditée par la Maison BONAMI, est sortie pendant le salon Maison & Objet (elle fait partie des 15 coups de cœur repérées par AD Magazine au salon Maison & Objet 2025). Maison BONAMI est une jeune maison dont les papiers peints sont fabriqués en France. J’ai eu l’idée de cette collection après avoir vu l’exposition « Alfred Latour – Regard sur la forme » au Musée Réattu à Arles. Alfred Latour réalisait toutes ses esquisses à la main. Cette exposition a été un déclic pour moi. J’ai compris la rareté et l’aspect précieux de tout ce qui est fait à la main. Jusque-là, je me reprochais des traits imparfaits ou un peu hésitants lorsque je faisais des esquisses à la main. J’ai trouvé la méthodologie d’Alfred Latour extraordinaire et j’ai dessiné toute la collection de papier peint à la main. J’ai tracé des traits et des lignes de chaque côté des dessins pour permettre les raccords. C’était très rigoureux, mais en même temps, au milieu, c’était très libre. C’est-à-dire que j’ai eu toute la place pour faire exactement ce que je voulais en peinture tant que je retombais sur mes pas à la fin. J’ai aussi un projet à Milan avec une maison d’édition italienne…

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Villa, papiers peints conçus en exclusivité par Clémentine Chambon pour Maison Bonami, © Maison Bonami
SV : Quelles sont vos envies créatives en ce moment ?

CC : La peinture. J’ai réalisé dernièrement un grand format pour une commande. J’ai mis beaucoup de temps à m’y mettre parce que j’avais terriblement peur de ce grand format sur toile libre. C’était intimidant. Je ne pouvais plus faire semblant de ne pas faire de la peinture. Et en fait, j’ai pris un plaisir extraordinaire et j’ai réalisé à quel point j’aimais peindre. Donc oui, j’aimerais faire plus de peinture, plus de grands formats. J’adorerais aussi trouver un mécène pour refaire « Shelter » sur une plage, ça serait génial. Et puis bien sûr, j’adorerais faire plus de design avec des maisons d’édition italiennes.

* Elliptic chair Limited Edition en collaboration avec Bonacina 1889 a reçu le prix le FRENCH DESIGN 100 en 2024.

Clémentine CHAMBON