Terreau fertile pour le déploiement d’événements culturels importants, Arles accueille du 12 avril au 11 mai, la 3e édition du Festival du dessin. Unique en son genre, exigeant et universel à la fois, ce rendez-vous culturel aborde le dessin sous toutes ses formes dans les lieux emblématiques de la ville. Les œuvres d’une quarantaine d’artistes, des dessinateurs les plus reconnus à la jeune garde sont exposés.
Frédéric Pajak est le directeur artistique du Festival du dessin depuis sa première édition. Écrivain, dessinateur, éditeur, réalisateur, auteur d’une trentaine d’ouvrages et récipiendaire de plusieurs prix littéraires, il est le co-créateur avec Vera Michalski de la maison d’édition Les Cahiers dessinés. Tous deux sont les fondateurs du Festival du dessin, unique festival consacré à cet art.
SUD VIBES : Le Festival du dessin a lieu pour la troisième fois à Arles. La Nouveauté de cette édition réside dans votre choix de déployer une programmation autour de plusieurs grandes thématiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Frédéric Pajak : L’art brut, auquel nous tenons beaucoup est encore présent pour cette édition, tout comme les expositions présentées par nos partenaires. Louis Vuitton pour les « Travel Books » et Hermès qui nous permet de mettre à l’honneur la jeune garde. L’une des nouveautés est que nous présentons la collection Antoine de Galbert, l’une des plus prestigieuses de dessins contemporains. Nous avons, par ailleurs, une série d’estampes japonaises rares issues de la grande collection de la BNF. Et puis nous rendons hommage aux dessins d’humour. Le dessin d’humour, qui n’est pas politique, qui étudie les mœurs, cherche des idées drôles ou saugrenues, souvent pas loin du surréalisme a un peu disparu au profit du dessin de presse. En fait c’est un peu du Jacques Tati en dessins. De grandes figures du dessin d’humour dont Sempé, Bosc, Ronald Searle et d’autres sont présentés. La plupart des gens l’ont oublié, mais dans les grands quotidiens et hebdomadaires français, des pages entières étaient consacrées au dessin d’humour.
SV : Comment décidez-vous de la programmation du festival ?
FP : En tant qu’éditeur, j’ai une assez grande expérience du dessin. J’ai aussi beaucoup voyagé et j’ai publié des dessinateurs d’un peu partout. Chaque semaine, j’ai un nouveau contact qui m’intéresse, un collectionneur qui veut me présenter des dessins, ou un artiste. Le monde du dessin est un monde très vivant, qui est resté longtemps caché. Un peu secret. Il n’y avait pas vraiment de manifestations qui lui étaient consacrées, à part dans des galeries dans lesquelles la peinture et la sculpture étaient plus présentes. Aujourd’hui cela a beaucoup changé puisque des salons du dessin ont lieu à Paris, Marseille et un peu partout. Il y a vraiment un intérêt du public pour le dessin et cela bouge beaucoup. On ne s’attendait pas du tout à un succès pareil.
Aquarelle © Fondation Folon, ADAGP/Paris 2025
SV : Jean Michel Folon fait l’objet d’une grande exposition. Pourquoi avoir choisi de rendre hommage à ce dessinateur ?
FP : J’ai grandit avec Folon et j’ai une admiration pour ses dessins. J’ai publié plusieurs livres consacré à son oeuvre. Le dernier, « Folon en couleurs » sort à l’occasion du festival. Folon est l’auteur de centaines d’affiches, de couvertures du Time, du New Yorker, de l’Express… Il a énormément travaillé, était très connu et a été exposé dans les plus grands musées du monde. Au Metropolitan Museum de New York, au Brésil, en Argentine et beaucoup au Japon où l’engouement pour ses dessins ne s’est jamais tari.
L’année dernière, deux expositions lui ont été consacrées. L’une à Tokyo et l’autre à Nagoya. L’une va avoir lieu à Osaka à peu près en même temps que le Festival du dessin. Il est, je pense, le dessinateur qui maitrise le mieux la couleur. Et ses dessins sont très poétiques. Sa vision du monde, qui est un peu inquiète, très écologiste, qui parle beaucoup de la nature, de la pollution, de l’aliénation, se traduit avec un dessin toujours très doux, très rêveur, sans aucune agressivité. En France on est en train de le redécouvrir, il y a vraiment un intérêt du public pour Folon. Vous allez voir, dans les années qui suivent on va beaucoup entendre parler de lui.
SV : Jean Moulin, qui est connu pour être l’une des grandes figures de la Résistance est cité parmi les artistes exposés. Pouvez-vous nous dire quel dessinateur était Jean Moulin ?
FP : Très peu de gens savent que Jean Moulin était dessinateur avant d’entrer dans la Résistance. Ce qui est interessant le concernant, c’est qu’il a eu plusieurs facettes en tant que tel. Dessinateur d’humour au départ, il a croqué la vie. Les vêtements des gens, les moeurs… Ses dessins étaient très libres. Il a réalisé des illustrations d’ouvrages poétique et il est aussi un dessinateur politique qui a dessiné la montée des super puissances. Du nazisme surtout, mais aussi du communisme. Il a ensuite ouvert une galerie d’art moderne à Nice quand il était résistant. Cela lui permettait voyager et de passer légalement de la zone occupée à la zone dite libre. Jean Moulin était un connaisseur d’art, un véritable galeriste et un collectionneur. Il possédait d’ailleurs des tableaux de Soutine. Il est une figure très importante de notre histoire et il est intéressant de savoir que sa première passion était le dessin.
SV : Quel est selon vous l’artiste de cet édition dont il faut absolument voir les dessins ?
FP : Chaval, qui est un dessinateur d’humour, mais dont nous présentons d’autres travaux qui n’ont jamais été vus, comme ses dessins destinés à des films et toute une série d’illustrations du livre « La mort est mon métier » de Robert Merle. C’est un livre qui a eu énormément de succès dans les années 50. Chaval est aussi l’auteur de dessins qui ne sont pas du tout humoristiques mais qui sont poignants. Nous exposons aussi quelques dessins d’humour de lui, notamment une page de croquis qui est très intéressante parce-qu’elle dévoile la manière dont il cherche une idée humoristique. C’est très rare un document comme ça. Mais c’est aussi le cas des dessins de Bram van Velde que nous exposons et que très peu de gens ont vus, même les amateurs de ce dessinateur.
SV : Vous voulez dire qu’il y a beaucoup d’inédits dans cette édition du festival ?
FP : Oui, nous cherchons vraiment à surprendre les gens, y compris les connaisseurs. Nous nous adressons à un public très large et il est vrai que les spécialistes du dessin s’y retrouvent. Nous les gâtons. C’est important pour nous. Dans l’exposition de la collection d’Antoine de Galbert par exemple, beaucoup de dessins contemporains sont méconnus. Il faut aussi souligner la présence d’Annette Messager qui prépare une installation dont elle compose elle même l’accrochage. Cela va être une surprise pour moi et pour beaucoup de gens. Je suis vraiment ravi qu’elle participe.
Les guetteurs © Studio Annette / ADAGP, Paris, 2025
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